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lundi 20 mai 2024
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Pratique de mendicité transfrontalière aux carrefours d’Abidjan: Dans la mafia des ‘ mères sahéliennes’ qui exploitent leurs enfants

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Qui se cachent derrière  ces mères  qui  exploitent leurs enfants  aux carrefours de certaines grandes villes ?  Qui se cachent derrière ces mères qui exploitent leurs enfants aux carrefours de certaines grandes villes ?

Malgré l’existence de textes pertinents pour combattre l’exploitation des enfants, le phénomène de la mendicité transfrontalière persiste à des carrefours de certaines grandes villes ouest africaines dont Abidjan. Où des ‘mères sahéliennes’ incitent leurs enfants à faire la manche… Reportage…

 

Ce mardi 17 juillet 2018, il est 9heures 15 mn. Nous sommes au grand carrefour de la Riviera 2 dans la commune chic de Cocody. A cette heure de la journée de temps ensoleillé, ce carrefour grouille de monde. Vendeurs ambulants d’accessoires de téléphones portables et d’ameublement de maison proposent leurs marchandises aux passants et autres automobilistes. Soudain, notre attention est attirée par les agissements de certaines femmes aux cheveux de femmes blanches qui lâchent leurs garnements contre les passants. Non sans leur tendre la main. Passants et automobiles n’échappent pas à ‘la trappe’. Soudain, deux d’entre eux tout en nous tendant la main, s’agrippent à nous. Pas facile de s’arracher à eux, sans leurs laisser un jeton. Très fréquents en ce feu tricolore, ils n’échappent pas aux regards des usagers et autres piétons qui leur donnent bien souvent quelques piécettes. Et vrouounnnn !démarrent-ils aussitôt. Mais d’où viennent –ils ces femmes de race blanche qui incitent leurs enfants à la mendicité? Qui sont –ils et pour avoir choisi certains grands carrefours des quartiers huppés d’Abidjan pour faire la manche ? Nous n’en savons pas grand-chose. Selon les premières informations que nous avons pu recueillir, nous indiquent qu’ils sont Touaregs. Un peuple reparti entre cinq pays : le Mali, le Niger, le Burkina Faso et l’Algérie ( Voir encadré). Bref, nous avons essayé en une demi- journée durant de pénétrer l’univers de ces mères et maman mendiants hors du commun qui visiblement lâchent express leurs enfants contre les passants pour se faire de petits jetons pour manger. Sur place, ce vendredi - là, nous décidons de jouer le jeu avec eux, question pour nous de leurs soutirer des brides d’informations. Mais avant, nous prenons soin de déclencher notre dictaphone et leur tendre des piécettes pour les appâter. Notre stratégie semble prendre et nous commençons à baragouiner du français avec eux « Comment tu t’appelles si tu me dis ton nom, je te donne cadeau.. L’argent, l’argent» Il n’en fallait pas plus pour qu’ils se ruent sur moi. C’est alors qu’ une plus grande, le visage bien taillé et les dents blanches se mêlent de la partie et les enfants se rétractent aussitôt. Que s’est-il passé ? Elle a dû dire aux enfants de faire attention à l’appareil que je tenais en main. Dès que nous avons lâché les premiers jetons, ils ont commencé à revenir à la charge et la conversation reprend : « Toi tu viens de quel pays et tu habites quel quartier à Abidjan ? » L’air fuyard et très réservée, elle nous répondra : « Nigeria… ! » En pleine conversation, nous sommes interrompus par Hamadou M. Il est commerçant ambulant la journée et les soirs, il tient un point de vente de chaussures de seconde main au sous quartier Riviera Bonoumin. Originaire du Niger, Hamadou M, la quarantaine environ, semble connaitre ces transhumants qu’on retrouve dans plusieurs grandes villes de l’Afrique de l’Ouest. Citons Bamako, Ouagadougou, Dakar et Abidjan. Pour ne citer que ces villes- là. Selon Hamadou, « Ces dames qui exposent leurs enfants à la mendicité sont d’origine Touareg. Un peuple à cheval sur plusieurs pays dont mon pays le Niger et le Mali. Ces femmes que vous voyez- là ne sont pas sédentaires. Elles vont de ville en ville et payent le transport avec les peu d’argent qu’elles reçoivent de la mendicité. Elles n’aiment pas travailler. Et pourtant ce grand garçon qui essuie les vitres peut apprendre un métier… Mais que non ! » Il est 11heures, le soleil continue sa marche vers le Zenith. Nous continuons de glaner des informations croustillantes sur ces ‘mères voyageuses’ et leurs enfants. Nous revenons vers notre belle Touareg bien mise dans un pantalon en tissu un peu crasseux et tricot pollo de couleur jaune délavé. Alors que nous étions bien partis pour approfondir notre bref dialogue, une autre plus âgée, la cinquantaine environ, certainement la chef du groupe les rappelle à l’ordre. Après avoir insisté, elle nous répondra dans français approximatif, qu’ils habitent derrière ‘le garage Abdahalla’ à la lisière d’Adjamé-Attecoubé. Quelques jours plus tard, nous avons pris rendez-vous avec un informateur au lieu indiqué pour dix- huit heures. Il nous a fait poiroter. Mais qui se cachent derrière cette affaire Malgré cela, nous leur remettons quelques jetons, non sans promettre de continuer à percer le mystère de ces mères mendiantes et leurs enfants.

Dur, dur de percer le mystère de ces transhumants…

Le vendredi 17 aout 2018, il est 11 heures, nous voici à nouveau au carrefour de la Riviera 2, sur le grattoir sud de l’échangeur du même nom. Cette fois –ci, nous nous intéressons aux va et vient de petit garçon teint claire crasseux et portant des maillots aux couleurs de l’équipe nationale de football du Niger, les Mena. Un autre jour, on le retrouve dans la tunique de l’équipe nationale de Côte d’Ivoire : Les éléphants de Côte d’Ivoire. Très à l’aise dans son maillot, les joues dévorées par la faim, notre petit, la dizaine environ, a trouvé une autre astuce : Que de te tendre simplement la main, il a désormais un éssuie- glace et une petite bouteille d’eau savonneuse, pour aguicher les automobilistes. Ça marche pour lui !. Des propos recueillis auprès de certains automobilistes nous le confirment bien. « Ca fait un bon moment que ce petit garçon est ici à ce feu tricolore. Au départ il se faufilait en les véhicules pour tendre la main, mais depuis, il a changé de stratégie. Avec sa bouteille d’eau et son essuie –glace, il se fait un peu de sous. Moi en tout cas quand je passe par là et qu’il vient vers mon taxi-compteur, je luis glisse une pièce de 100Fcfa. Mais je pense que la place de ces enfants n’est pas à un carrefour. Se faufiler entre les véhicules pour mendier, les expose à des risques d’accidents. Le gouvernement ivoirien doit soit les ramener à leur origine via leurs consulats soit les envoyer dans un centre de rééducation et mieux démanteler cette filière » estime Kouakou Koffi, un chauffeur de taxi- compteur.

Les révélations de certains experts africains..

Tout comme lui, Mamadou Doumbia, journaliste spécialisé dans les questions humanitaires nous apprend : «(…) il s’agit là et sous nos yeux, d’une autre forme d’exploitation des enfants et qui profite à des individus tapis dans l’ombre. C’est une filière bien organisée allant des zones sahéliennes vers certaines grandes villes comme Abidjan. Il faut la démanteler(…). Il y a quelques années de cela, un réseau d’exploitation des enfants à des fins de mendicité au grand rond –point d’Abobo, a été découvert(…) » Le confrère Doumbia ne manque pas d’ajouter et cela de façon catégorique: « Ces enfants selon les informations dont nous disposons, viennent des pays de l’Hinterland. Certains indexent formellement deux pays que sont le Mali et le Niger. Je pense qu'une étude approfondie sur la question sera utile pour plus de précisions. Nous répondons par l'affirmatif. Pour dire qu’ il s'agit d'une mafia qui organise ce trafic sous le couvert de visite à des parents en Côte d'Ivoire. Ces enfants sont déposés chaque matin de bonne heure et ramassés par la suite le soir. Nos informateurs parlent de la commune d'Adjamé et aussi d'Abobo. Une fois encore ce sujet mérite un traitement professionnel de la part de journalistes et aussi de chercheurs » Au Sénégal, la filière est aussi visible. Des propos du confrère sénégalais Souleymane Thiam, donne du poids à cette affirmation quand il dit : « La présence de femmes et hommes de race blanche, du genre arabe, est remarquée dans les milieux de la mendicité au Sénégal. Généralement, les adultes sont installés quelque part, et les enfants vont à l'assaut des passants, de façon assez gênante le plus souvent. Ils viennent et vous agrippent(…) Pour l'ampleur, ça me semble négligeable. Parce qu'on ne les voit pas partout et tout le temps. Personnellement, j'ai l'habitude de les voir dans la banlieue dakaroise, dans une localité appelée Pikine, et souvent on peut rester de longs mois sans que ce ne soit le cas. Idem dans la capitale » S’agissant toujours du Sénégal, dans un rapport paru en 2010, Human Rights Watch estimait déjà à 50.000 le nombre de ces jeunes enfants, essentiellement des garçons. Mais avec quel moyens et à partir de quel texte combattre une telle exploitation transfrontalière et commune à plusieurs grandes agglomérations de l’Afrique de l’Ouest ?« Certainement en s’appuyant sur les textes qui existent en la matière aussi bien en Côte d’Ivoire qu’ à l’échelle régionale » estime Mamadou Doumbia qui ne manque pas de nous orienter vers Kavokiva, une société coopérative agricole très active dans la lutte contre l’exploitation des enfants notamment la lutte contre l’élimination des pires formes de travail des enfants( Pfte) dans la cacaoculture. Malheureusement, nos démarches n’ont pu aboutir. Sommes –nous en face d’autre d’un autre type de traite des humains ? Visiblement oui si l’on s’en tient à l’éclairage de M. Sigui Mokié Hyacinthe, précédemment Administrateur national de Programme au Bureau international du travail ( Bit/Ipec) et qui dit : « la traite est le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiement ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ». Aussi, notre expert qui est désormais en fonction à l’Organisation des nations unies pour l’enfance( Unicef) ajoute que « si la traite se fait dans le pays, on parle de traite interne, mais si c'est entre deux pays, on parle de traite transfrontalière. Les victimes de traite seraient amenées par des pisteurs, souvent les employeurs eux- mêmes ou des réseaux de placement ». Mais que disent les textes pertinents sur la pratique de la mendicité en Côte d’Ivoire ? Sur la question, à l’issue d’ un conseil des ministres en date du mercredi 29 juillet 2015, le gouvernement ivoirien avait annoncé que « les parents qui violent la loi qui impose la scolarisation obligatoire de six à 16 ans, pourront subir une peine de prison de deux à six mois et une amende pouvant aller jusqu’à 500.000 Fcfa (762 euros) ou l’une ou l’autre de ces deux peines seulement, et que cette mesure devrait entrer en vigueur dès la rentrée 2015-2016 » Des études indiquent qu’en Côte d’ivoire, près de 9 000 enfants seraient victimes de traite en Côte d'Ivoire et 37 359 seraient contraints à travailler. Deux secteurs d’activité abritent l’essentiel du travail des enfants : le secteur agricole (53,4%) et le secteur des services (35,6%). 1 424 996 enfants sont concernés par le travail des enfants à abolir, soit sept enfants sur dix économiquement occupés et un enfant sur cinq âgé de 5 à 17 ans. Parmi ces enfants astreints à un travail à abolir, 64,3% le sont dans le cadre familial, en qualité d’aides familiaux. Et dans quatre cas sur dix, le travail à abolir est effectivement dangereux. En effet, sur les 1.424.996 enfants âgés de 5 à 17 ans qui sont astreints à un travail à abolir, 539.177 sont impliqués dans un travail dangereux, soit 37,8%. En ce 21ème siècle, la mendicité imposée aux enfants devrait être considérée comme une Pire forme de travail des enfants( Pfte) que l’Etat dans sa mission régalienne, devra éradiquer effectivement cette autre forme de mendicité, du moins en Côte d’Ivoire

Bamba Mafoumgbé, Cette adresse courriel est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Encadré. Ce que disent les textes….

Le mercredi 24 juillet 2013, le gouvernement ivoirien avait fait savoir qu’à compter du 5 août 2013, « tout mendiant ou vendeur ambulant chopé à un carrefour de la ville d’Abidjan assumera les conséquences qui en découlent » Aussi,l’article 190-nouveau du Code pénal ivoirien de juillet 1995, stipule que « toute personne qui est capable d’exercer un travail rémunéré et qui se livre habituellement à la mendicité est punie d’un emprisonnement de trois à six mois et peut être frappée pendant cinq ans d’interdiction de séjour, ou d’interdiction du territoire de la République, ou d’interdiction de paraître en certains lieux ». Mais comme cela est bien reconnu de la Côte d’Ivoire, « notre pays dispose de très bons textes mais c’est toujours leurs applications qui posent problème » Nous sommes en 2018 et l’on voit et cela pour généraliser, encore aux abords des grandes voies, des rues et de certaines mosquées d’Abidjan des parents qui par ignorance ou par défi de ces lois, forment leurs progénitures à la mendicité au lieu de les diriger vers les bancs de l’école. Dans certains quartiers de Cocody, le quartier chic d’Abidjan, dont les alentours de la mosquée de la Riviera Golf, le phénomène est observé. La Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, stipule en son article 28 que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances, ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ». La Côte d’Ivoire a ratifié cette convention le 4 février 1991. En la ratifiant, elle s’est engagée à faire de la protection de toutes les personnes âgées de moins de 18 ans, une priorité gouvernementale et à rendre compte chaque cinq ans, auprès des Nations Unies de l’application de ladite convention dans le pays. Fort de ce constat, l’on s’interroge sur la pertinence et l’effet des mesures prises pour obliger les parents à scolariser leurs enfants en vue de leur offrir l’alternative de s’offrir un lendemain meilleur autre que l’expertise en mendicité. Ces « mères sahéliennes » sont-elles des cas isolées ? Selon nos investigations, ces femmes qui exploitent leurs enfants ainsi sur la voie publique, sont d’origine Touareg. Ces derniers sont aujourd'hui au moins 1,5 million, répartis entre cinq pays: Niger (800 000), Mali (500 000), Libye, Algérie et Burkina-Faso (de 30 000 à 50 000). Des recoupements nous font dire que l’existence de cette filière n’est pas nouvelle en Côte d’Ivoire.

Bamba M.

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