De retour d'une mission en Turquie, le président de la Confédération patronale unique des Pme, Moussa Élias Diomandé, livre les acquis d'un échange d'expériences enrichissant.
La Confédération patronale unique des Petites et moyennes entreprises de Côte d’Ivoire était en mission en Turquie, en juillet. A quoi obéissait un tel voyage ?
A la Confédération patronale unique des Pme de Côte d’Ivoire, nous sommes partis du constat que les Pme ivoiriennes ont besoin de renforcement de capacités sur plusieurs plans : managérial certes, mais aussi organisationnel, touchant à la connaissance, au savoir technologique, à la transformation et à l’industrialisation. Nous sommes donc partis prospecter pour voir comment nos homologues turcs sont organisés et travaillent.
Quels sont les supports, les ressorts qu’ils ont et qui leur permettent d’être présents partout dans le monde ?
D’où la visite des zones industrielles dédiées aux Pme telle Imes. Nous avons rendu visite au Kosgeb, une organisation patronale non seulement chargée d’accompagner les Pme, mais qui également finance l’économie locale. Nous avons rencontré nos homologues du Musiad qui est la plus puissante organisation patronale en Turquie pour les Pme. Les objectifs de ces organisations ne sont pas les mêmes. Cependant, la maîtrise de l’économie locale est l’affaire des Pme. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles sont très bien organisées. Dans le même élan, nous avons voulu savoir comment on peut s’installer en Turquie.
Quels sont les critères pour le faire ? Quelles en sont les exigences ? De quoi les Turcs peuvent-ils avoir besoin venant de nous ?
Ce que je puis souligner, c’est que les Turcs contrôlent leur économie.
Et si l’on vous disait de faire le portrait des entrepreneurs et Pme turcs, comment les décrieriez-vous ?
Les Pme turques sont généralement familiales. On a ainsi une première, une deuxième génération d’entrepreneurs et la transmission se fait généralement de père en fils. C’est ce que j’ai remarqué dans un premier temps. Et cette organisation a du sens dans la stratification administrative et fiscale des entreprises. Chez nous, nous avions, à l’époque, demandé au gouvernement de ne pas se focaliser sur la nomenclature quantitative et fiscale des entreprises (Sa, Sarl), mais de mettre l’accent sur la nomenclature familiale, sociale, qualitative ; parce que dans l’entreprise familiale, les capitaux ne sont pas instables. Ils viennent de la contribution familiale et les risques de marché ne sont pas les mêmes. Cela explique, en partie, le fait que ses entreprises durent davantage. Elles ont une meilleure gouvernance. Elles ne sont pas sujettes à des crises systémiques dues à des chocs ou à une instabilité de la gouvernance, du management. La deuxième observation, c’est que les Turcs sont positionnés sur le plan industriel parce qu’ils font tout eux-mêmes. Ils ont la connaissance et le savoir-faire. Je prends un exemple : si nous devons fabriquer une voiture, nous devons avoir l’ingénierie, les ateliers de montage, avoir des Pme capables de fabriquer les différentes pièces et autres composantes (joints, cardans, réservoirs, pneus etc.). La Turquie dispose de cela. Troisième observation : ils sont organisés de manière complémentaire. Les organisations comme la nôtre y orchestrent tout. Il y a une synergie également avec le monde de la connaissance ; d’où leur regroupement dans des zones industrielles dédiées exclusivement aux Pme. Enfin, ils disposent d’un réseau business mondial redoutable. Nous allons nous inspirer de ce modèle pour demander au gouvernement de mettre en place des zones industrielles dédiées aux Pme.
En termes d’acquis, êtes-vous satisfaits ? Pouvez-vous en énumérer quelques-uns ?
Le monde des affaires ne fonctionne pas comme une partie de chasse. Dans le milieu des affaires, il faut créer le contact, puis la confiance. Ce n’est qu’à partir de ce moment que l’on peut convenir de construire quelque chose ensemble. C’est ce que nous avons réussi à faire. Nous nous sommes montrés, nous avons parlé avec nos hôtes et nous allons construire quelque chose ensemble. C’est ce qui est important. Il y a des Mou (Memorandum of understanding) qui vont être mis en place. Il y a même une délégation turque qui va bientôt venir à Abidjan.
Comment envisagez-vous la suite de cette mission ?
Cela passe par la mise en place d’un accord cadre. Toute chose qui pourra nous permettre, par exemple, en cas d’appel d’offres, de faire appel à nos homologues turcs. S’agissant de la fabrication de produits que nous ne faisons pas, nous pourrions, par exemple, nous associer en joint-venture. Nous avons eu la promesse que la société Dearsan souhaite s’installer en Côte d’Ivoire. Cela requiert des procédures. Les structures et spécialistes de la Cpupme.CI, en accord avec le gouvernement, doivent y travailler. Le gouvernement a son rôle à jouer et c’est en cela que l’accord entre la Côte d’Ivoire et la Turquie, signé par les présidents des deux États, est essentiel. Nous nous y engouffrons. Je pourrais donc dire que cette mission de la Cpupme.CI était une première en Côte d’Ivoire. Inédit de voir une structure patronale se déplacer, aller dans un pays, prendre des rendez-vous et parler avec les acteurs de l’économie de ce pays. C’est très enrichissant.
Quelles leçons tirer de cette expérience pour la Cpupme.CI et pour les Pme Ivoiriennes dans l’ensemble ?
Ce que l’on peut retenir de tout cela, c’est que l’initiative de la Confédération patronale des Pme doit se poursuivre. Nous sommes partis pour voir comment ils travaillent certes, mais nous allons nous aussi voir dans quelle mesure nous installer en Turquie. Nous avons des Pme, des structures qui veulent s’installer dans ce pays. Nous allons en discuter pour en apprécier la faisabilité et les Turcs se montrent disposés. Il nous faut être simplement plus ambitieux et pragmatiques. Autre élément à retenir : l’approche du gouvernement doit être une approche « Botton top ». Je veux dire par là qu’elle doit être dynamique et exploratoire. Ce que nous venons de faire, nous le faisons pour le rayonnement de la Côte d’Ivoire. Il faut mettre un budget en place pour nous accompagner dans ce que nous faisons. Il faut donc une répartition équitable des fruits de la taxe spéciale d’équipement pour nous permettre nous aussi de faire des investissements. La Cpupme.CI envisage de faire des investissements. La Cpupme.CI envisage de se projeter dans certains pays, forte de son savoir-faire et parce qu’elle est organisée en filières. Mais peut-on réaliser cela si tous les fonds, surtout les financements du secteur privé, sont captés par un groupe prétendant parler au nom du secteur privé ivoirien ? Qui leur a donné cette légitimité ? En Turquie, je n’ai pas vu cela. J’ai vu chacun faire son travail pour l’intérêt de l’économie turque. Il ne s’agit pas de dire que l’on veut faire un investissement pour les Pme. Il faut, au contraire, leur donner les moyens de faire leur investissement parce qu’elles savent ce qu’elles veulent. Leur mission, elles la connaissent : c’est l’économie locale, la sous-traitance, l’amélioration de la qualité de vie des Ivoiriens et des Ivoiriennes, la mise à disposition des populations de services et produits simples et pas chers.
Source : Fratmat.info et sercom