Tentés par l’aventure et l’envie de faire fortune, ils sont nombreux les aventuriers africains qui arrivent en Côte d’Ivoire par la route. Parmi ceux-ci, il y a les ressortissants nigériens vendeurs et de colas et tenanciers de rôtisseries communément appelées Choukouya. Enquête… Chétifs comme des enfants souffrant de la malnutrition et parfois habillés quasiment en aillons, ils arpentent tous les jours, les grandes artères et ruelles d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, à la recherche d’éventuels clients. A qui, ces petits débrouillards venus du Sahel proposent leurs produits. Eux, ce sont les petits nigériens, vendeurs de colas et de consommables électroménagers. Ces petits commerçants dont l’âge oscille entre 15 et 20 ans sont pour la plupart d’origine nigérienne. Ils sont de jeunes Haoussa et des Zerma qui viennent plus précisément de Tahoua. Zone presque désertique située dans le Nord- Ouest du Niger. Leur activité principale, à Abidjan tourne autour du petit commerce ambulant de noix de colas et de petits colas. Soigneusement disposées sur un morceau de sac jute imbibé d’eau fraîche et le tout sur un plateau posé sur la main droite. (C’est selon). Des grosses noix de colas blanches en passant par celles de couleur rouge aux noisettes de petits colas fraîche ou séchées. En tous cas, il y en a de tous les goûts et pour toutes bourses. L’un d’entre eux, accosté à Adjamé 220 logements, se nomme Aguibou. Il a 16 ans environ et est de nationalité nigérienne, natif de la région de Zinder, située au Centre-est du pays et faisant frontière avec le Nigeria voisin. Aguibou vit depuis quelques années à Abobo, une commune populeuse située dans la partie Nord d’Abidjan. Aguibou a décidé de s’associer à d’autres petits compatriotes. Avec lesquels, il va s’approvisionner à Anyama ‘la cité de la Cola’ située plus au Nord du District d’Abidjan. « Au lieu d’aller me ravitailler à Adjamé., moi je vais prendre mes noix de colas à Anyama. Ensemble, nous achetons un panier de 50 kg à 65 mille Fcfa. Après la vente au détail nous arrivons à atteindre facilement les 85 mille Fcfa. Après la soustraction des différentes charges, nous mettons de côté notre bénéfice et retournons nous ravitailler à nouveau à Anyama » explique-t-il, avec son plateau de noix de cola sur la main. Autre vendeur, autre explication. Salifou Moussa, 19 ans est arrivé en Côte d’Ivoire depuis environ deux ans. Les dents jaunies à fosse de croquer de cola, squelettique et les cheveux ébouriffés témoignent de l’effort qu’il fournit dans la quête de la pitance journalière. A l’image de ses compatriotes, Salifou se rend quant à lui, régulièrement à Adjamé non loin du grand marché, plus précisément au « Black Market » (marché noir) pour s’approvisionner dans ses produits du cru. « J’ai 19 ans et je suis originaire de Maradi au Niger. C’est en début 2016 que je suis arrivé en Côte d’Ivoire. Avec le secret espoir de me faire de l’argent et retourner au pays pour aider mes parents et me marier. Pour l’instant, n’ayant pas trouvé mieux, je suis dans le petit commerce de colas, des petits colas et de datte », se confie-t-il, le visage sensiblement tuméfié par la fatigue. Pour gagner combien ? « Très tôt chaque matin, j’achète des noix de cola à 1100Fcfa le kg, un autre de datte et un autre de petit colas que je viens placer sur le marché auprès des consommateurs de la commune de Cocody. Ce, à 50Fcfa la noix. Ainsi à la fin de la journée, rien que sur les noix de cola, j’arrive à recouvrer mon prix d’achat, mais aussi je réalise un petit bénéfice de 600 Fcfa à 800Fcfa », soutient Salifou, l’air très frileux. Pour sa part, Moumouni Abdoulaye, originaire du Niger, de la région de Tahoua, la quinzaine révolue est quant à lui aussi vendeur de cola ambulant à Abidjan. Il y est arrivé pour la première fois, en 2018 grâce à un compatriote qui à l’époque était vendeur de « Garba » au sous quartier « Adjamé 220 logements » dans la commune d’Adjamé. Chaque matin, l’adolescent Marouane, habillé d’un tricot polo aux couleurs de l’équipe nationale de football de son pays natal, ‘Les mena du Niger’ va s’approvisionner dans un magasin de cola, non loin de son lieu d’habitation. Très fier et derrière un sourire que cachent ses yeux de gazelle perdue dans la savane, il nous apprend un peu plus. «Chaque jour, je vais acheter au moins deux kilogrammes de colas dont le kg oscille entre 1500 et 1400 Fcfa que j’arrive à placer en moins de deux jours sur le marché. Avec le petit bénéfice dégagé, j’arrive à me nourrir et envoyer un peu d’argent à ma mère restée au pays quand j’y retourne au par moment. »Mais que viennent-ils chercher en Côte d’Ivoire ? Les propos de Arouna, la vingtaine à peine, baragouinant à peine la langue de Molière et opérant dans la même filière donne plus de précisions quand il dit : « Il y a seulement 15 mois que je suis arrivé en Côte d’Ivoire, précisément à Abidjan. Sur conseil d’un cousin retourné au pays, mon père s’est engagé à payer le frais de transport qui s’élève à 45 mille Fcfa, de Tahoua à Abidjan via Niamey. Comme ce cousin, je suis venus non seulement à l’aventure mais aussi me faire de l’argent et retourner doter ma fiancée restée au pays. Mais pour l’instant, je n’ai trouvé mieux que vendre des noix de colas que j’achète régulièrement dans un grand magasin situé dans le sous quartier d’Adjamé où j’habite ».Une activité qui ne semble pas être facile à mener, selon lui. « Pas vraiment. C’est difficile. Très difficile. Quand nous finissons de nous approvisionner dans les noix dont le prix du kg varie en fonction de la qualité et de la couleur, il faut parcourir des dizaines de kilomètres d’Adjamé en passant par la Riviera jusqu’à Akouédo pour écouler nos marchandises. C’est très pénible mais, ça vaut mieux que voler… », nous indique Oumar, lui aussi originaire de Tahoua. Par ailleurs compagnie de route de Arouna que nous avons rencontré au Rond- Point de la Riviera II dans la commune de Cocody. Dans le petit commerce ambulant, des consommables d’appareil électroménagers aussi…Outre ce créneau de revendeurs de cola au détail, ces petits nigériens se retrouvent également dans l’univers de vente de consommables d’appareils électroménagers. Des télécommandes en passant par les antennes pour des postes téléviseurs, au fer à repasser, ces petits commerçants offrent pour toutes les bourses. Malheureusement, ces produits vendus à prix très abordables sont pour la plupart de mauvaises qualités. Ils sont nombreux les Abidjanais à avoir acheté ces consommables et qui ont été déçus par la suite, par la mauvaise qualité. Au nombre des victimes, T. M., employé de bureau dans une entreprise de communication de la place. Très déçu, Eugène D., un professionnel de la communication âgé de plus de quarante ans révèle : « J’ai acheté au moins trois fois des télécommandes avec ces petits vendeurs ambulants, mais à chaque fois elles n’ont pas fonctionné ». Avant d’être plus incisif : « Ce sont des arnaqueurs… ». Mais qui se cachent derrière ces petits travailleurs saisonniers qu’on trouve dans les rues de certaines capitales de la sous- région ? Existe-t-il une filière de placement de ‘petits esclaves nigériens’ ? Sur les activités de ces petits travailleurs saisonniers, les données du Bureau international du travail (Bit) ne donnent pas assez de détails mais en dit plus tout de même. Aux dires de M. Sigui Mokié Hyacinthe, alors administrateur national de Programme au Bit ( Bit/Ipec), « une enquête de 2010 indique que près de 9 000 enfants seraient victimes de traite en Côte d'Ivoire et 37 359 seraient contraints à travailler. Par ailleurs, le rapport en question ne parle pas spécifiquement des enfants Ahoussa. ( voir encadré) Aboki, Garbadrome et revendeurs dans les boutiques au détail… ces petites chasses-gardées.En attendant de prospérer comme les gros vendeurs de bois de construction, de fer à béton et autres matériaux pour bâtiment dont ils ont à la limite le monopole dans certaines villes ivoiriennes, d’autres ressortissants nigériens estimés à un million, tiennent pour certains, des café chaud et des points de ventes d’attiéké dont les noms riment avec leur nationalité. Il s’agit des Aboki et des Garbadromes. Quant à ces ressortissants nigériens, qui exploitent jalousement le segment de vente d’Attiéké( semoule de Manioc cuite à la vapeur) au thon grillé dans les « garbadrome », et de cafétéria populaire communément appelés ‘ Aboki’. En outre, nous avons ceux qui prospèrent dans la vente de bois de construction, de tôles, de fer à bêton et de vente d’oignon avec le célèbre ‘ violet de Galmi ‘( Oignon produit exclusivement au Niger et dont le brevet est déposé à l’Office africaine de la propriété intellectuelles, (Oapi). Désormais, il faut compter avec ceux qui enregistrent des percées ailleurs. Notamment la constitution d’un réseau de détaillants avec des boutiquiers d’ethnie Ahoussa et très interconnectés. Sans oublier la gestion des rôtisseries traditionnelles qu’ils maîtrisent à volonté avec le fameux choukouya bien épicé et très bien apprécié par les consommateurs ivoiriens. Le Choukouya ? Ce sont ces grillades de viande (poulet, bœuf…) bien assaisonnées, incroyablement bonnes et confectionné par des rôtisseurs artisanaux nigériens. Là aussi, selon des confidences à nous faites par le journaliste- formateur Zio Moussa, « le commerce du Choukouya en Côte d’Ivoire rapporte à la filière qui prend ses racines au Niger, plus de 9 milliards de Fcfa à ce dernier pays cité. Ces chiffres datent de dix ans (…) ». Donc, il faut les revoir à la hausse en tenant compte de la croissance rapide de la population, de l’évolution des habitudes alimentaires et du développement de l’industrie de la nuit en Côte d’Ivoire depuis quelques années. Bamba Mafoumgbé, Cette adresse courriel est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.( In Lginfos du 27 aout 2019, 22heures 43mn) Légende photo : Les rôtisseries traditionnelles de Choukouya rapportent gros aux acteurs de cette filière transnationale Encadré : Aller à l’aventure ; un phénomène culturel… Aussi, l’éclairage de M. Alkassoum Atahirou, cadre nigérien et le représentant du Conseil Nigérien des Utilisateurs des transports publics( Cnut) nous donne davantage de précision sur ce phénomène transfrontalier. «Ces enfants sont majoritairement originaire de Tahoua, région du Nord –Ouest de notre pays. Au Niger, les ressortissants de Tahoua, une zone presque désertique, sont reconnus comme de grands aventuriers qu’on retrouve en grande majorité en Côte d’Ivoire, en Afrique Centrale au Cameroun et au Gabon mais aussi en Lybie ( de Kadaffi) La plupart des gens de Tahoua qui sont en Côte d’Ivoire, sont riches et ont fait fortune ici », fait-t-il savoir. Avant de révéler que c’est un phénomène culturel. «Plus qu’une pratique passagère, c’est un phénomène culturel qui ne date pas de maintenant. Ceux qui sont venus à Abidjan et qui ont fait fortune sont des modèles pour ceux qui sont restés au pays. La célèbre cantatrice Zabiya Houssey Bonbon qui est venue faire une tournée à Abidjan, incite, dans ses chansons, les Nigériens à venir y faire fortune », soutient notre interlocuteur. Tout comme ces petits acteurs du commerce informel qui vivent à Abidjan chez des parents et dans des maisons de fortunes dans les quartiers précaires, nous avons les travailleurs saisonniers et les vendeurs dans les boutiques au détail qui pullulent dans des quartiers du District d’Abidjan. B. Mafoumgbé Légende photo : La vente de Choukouya rapporte gros aux acteurs de cette filière transnationale